Du sang sur les iris (17/12/2011)

Giuliano Carnimeo est un réalisateur qui gagne à être connu dans le registre du cinéma de genre tel que je l'affectionne. De la fin des années 60 au début des années 80, il épouse toutes les variations du cinéma populaire italien, du western à sa variation parodique, du giallo à la comédie avant de sombrer comme tant d'autres dans la science fiction de bazar. Tranquillement installé sous le pseudonyme d'Anthony Ascott, il pratique un cinéma désinvolte mais de bonne tenue avec un goût pour les titres à rallonge. A son meilleur, il est capable d'invention visuelle, dans un esprit assez bande-dessinée, ne reculant devant aucune idée aussi farfelue soit-elle. C'est chez lui que l'on trouve l'orgue mortel qui permet à Sartana de défaire la horde des affreux de Una nuvola di polvere... un grido di morte... arriva Sartana (1970). C'est chez lui qu'Alleluia utilise une machine à coudre dissimulant une mitrailleuse dans Testa t'ammazzo, croce... sei morto... Mi chiamano Alleluja (Pile, je te tue, face tu es mort, on m'appelle Alleluia – 1971). C'est chez lui que la belle Agata Flori en habit de nonne est torturée à l'aide d'un scorpion avant de dévoiler un peu plus tard une ravissante jambe gainée de soie alors qu'elle est au sommet d'un poteau télégraphique. C'est chez lui que l'on trouve ce duel orchestré autour d'une pièce de monnaie tourbillonnante, dans l'excellent Gli fumavano le Colt... lo chiamavano Camposanto (Quand les colts fument, on l'appelle Cimetière– 1971) qui reste la meilleure illustration de l'univers et de l'humour de Lucky Luke. A charge, Carnimeo a le coup de zoom un peu leste et peut déraper dans le mauvais goût le plus navrant.

giuliano carnimeo,edwige fenech

Dans Perchè quelle strane gocce di sangue sul corpo di Jennifer tourné en 1972, Giuliano Carnimeo ouvre son film par une bien belle scène de meurtre au rasoir dans un ascenseur qui devrait logiquement faire s'étrangler les admirateurs de Brian De Palma. Joliment découpée (oups !), la scène est montée par le génial Eugenio Alabiso (Les trois premiers gialli de Sergio Martino, les plus beaux Sergio Corbucci, deux essentiels de Sergio Leone) et prend son temps pour faire monter la tension en jouant habilement sur le vu et le deviné dans l'espace confiné de la cabine. Carnimeo et Alabiso orchestrent les entrées et sorties des passagers anonymes parmi lesquels se cache le tueur. Cette scène pose les bases d'un récit classique concocté par le spécialiste Ernesto Gastaldi. Dans un grand immeuble moderne, de jeunes et jolies femmes travaillant comme modèles pour des photographies publicitaires sont assassinées à l'arme blanche par un tueur mystérieux. Il serait un peu rapide de dire que Gastaldi ne s'est pas donné mal à la tête. D'autant qu'il puise dans ses scénarios précédents, de l'héroïne tombée sous la coupe d'une secte à son ancien amant qui rôde, inquiétant. La réussite du film, car réussite il y a, réside dans les variations, le traitement et les détails. Carnimeo donne vie à une jolie galerie de personnages assez savoureux : l'inévitable duo de policiers bien croqués (joués par Giampiero Albertini avec son humour à froid réjouissant et Franco Agostini à l'inénarrable filature), la petite vieille qui achète des revues criminelles pour son étrange fils, l'ex-violoniste discret, la voisine lesbienne, la strip-teaseuse noire qui défie ses clients à la lutte (Voici bien une idée à la Carnimeo) et le photographe homosexuel (pas vraiment traité avec finesse). Tous sont coupables ou victimes en puissance. Pour son couple de héros, Carnimeo bénéficie des stradivarius du genre. Jorge Hill Acosta y Lara dit George Hilton est Andrea, un architecte dissimulateur aux accents hitchcockiens, plus sobre que chez Sergio Martino, il porte aussi des vêtements moins ridicules. Du coup sa composition est plus crédible malgré le registre limité du beau George. L'alchimie est complète entre l'acteur et sa partenaire, Edwige Fenech qui joue Jennifer.

Edwige donc qui retrouve une nouvelle fois un rôle de femme traquée, déchaînant les pulsions meurtrières autour d'elle. Une femme qui tombe amoureuse comme dans les romans de gare, par un échange de regards qui vaut son pesant de cacahuètes mais effectué avec tant de candeur que l'on s'attendrit. Une histoire qui va vite vaciller sous les coups du doute. Edwige Fenech, toujours aussi sensuelle, que ce soit le corps peint chez le photographe, en proie à la peur, dans les moments creux où elle se livre à des petits rien tandis que le tueur rôde, et dans les moments où elle prend le dessus, partant par exemple explorer le mystérieux appartement voisin. Elle est toujours très crédible quand monte la tension et que la panique ébouriffe ses longs cheveux bruns comme quand elle trouve en elle la force d'affronter le destin. Quelle femme !

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Canimeo joue avec elle sur du velours. Il a l'intelligence de garder la pédale douce sur l'érotisme (charmante scène devant un feu de cheminée néanmoins. Un cliché ? non !) comme sur les effets sanglants. Il se permet juste un meurtre assez sadique (et hautement improbable) dans une baignoire, citant le classique de Mario Bava, Sei donne per l'assassino (Six femmes pour l'assassin - 1964). Il exploite surtout au mieux l'intéressant décor froid de l'immeuble moderne, photographié par Stelvio Massi, son chef opérateur favori, envisagé comme un château médiéval avec ses oubliettes, ses souterrains, ses passages secrets et ses recoins multiples découpés par les ombres. Carnimeo entretient le trouble par l'utilisation du hors-champ et de brusques changements de point de vue, comme dans le meurtre du personnage joué par la belle Paola Quattrini. La confusion maîtrisée qui en résulte permet de coller au plus près de celle de Jennifer. Pour son premier giallo, Giuliano Carnimeo réussit un film au carré, peut être un poil trop retenu mais prenant, l'ensemble délicatement enrobé d'une belle partition au thème lancinant composée une nouvelle fois par Bruno Nicolai.

Photographies : capture DVD aegida et la fameuse photographie avec la Laverda, source Brainwashed.com

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