L'initiation (09/08/2009)
Je n'y connais rien, mais j'imagine que pour bien préparer une guerre, il faut commencer par une bonne préparation psychologique. Du baratin de Léonidas à ses 300 spartiates à l'axe du mal cher à Georges Bush junior en passant par les pyramides de Bonaparte en Égypte du haut desquelles tant de siècles nous contemplent, il s'agit de galvaniser les troupes pour le combat. Pour ce qui est de la guerre économique, c'est le même principe. Le remarquable documentaire L'initiation de Boris Carré et François-Xavier Drouet met en évidence le discours destiné aux futurs traders, dirigeants, managers de tout poil, DRH de toutes plumes.
Dans un hôtel de banlieue, classe, luxueux, impersonnel et sinistre, nous suivons un séminaire de trois jours de préparation intensive aux concours d'entrée en école de commerce. Quelques dizaines de jeunes gens, à peine sortis de l'adolescence, viennent y entendre la plus pure langue de bois du libéralisme « à l'américaine », préparation psychologique à la vie en entreprise ou c'est « cool » d'être « manager » et de se faire « un maximum » de pognon. Qu'est-ce que l'on ne sacrifierait pas au dieu argent ! Et en plus il faut aimer ça pour ne pas ressembler à ces masses de pauvres types qui prennent le métro tous les matins avec leur regards vides, aussi vides que leurs comptes en banque. Mais je m'égare, je m'irrite, je m'énerve. Le film.
La grande question que l'on s'est posé en ressortant de la séance, c'était de savoir comment cela avait été tourné. La caméra est au cœur de l'action, du discours. Face aux stagiaires comme face aux intervenants. Fixe la plupart du temps, à la fois évidente et discrète. Impersonnelle à la limite. La photographie aussi est très neutre, bien dans les tons de décoration (si l'on peut dire) de ces endroits normés : bleuté, grisé, brun - crème. Le film laisse parler tous ces gens très bavards. Pas de commentaire. Le propos du film émerge du montage, superbe travail de mise en correspondance des paroles, des idées, des regards et des attitudes. Les réalisateurs observent leur petit monde comme on filmerait une tribu de babouins ou une colonie de pingouins, avec la même distance. Il s'en dégage une sacrée force comique, comme pour les singes ou les palmipèdes. Vu à cette distance, ils sont ridicules, trop énormes pour être vrais. Mais ce sont des hommes et des femmes bien sûr, alors le rire (on a rit beaucoup lors de cette séance au festival du Cinéma Brut) s'étrangle. Et puis l'on se rend compte qu'ils parlent de nous et c'est l'horreur qui devient le sentiment dominant. Comme lorsque l'intervenant principal, un poème celui-là avec son pull noué autour des épaules, explique comment on fait du dégraissage en entreprise à coup de touche [Suppr] sur un tableur excel. Et surtout sans états d'âme, hein les petits.
Horreur et colère. On a invectivé l'écran plus d'une fois lors de cette séance au festival du Cinéma Brut. Cela ne sert à rien mais cela défoule.
Alors, oui, la question du tournage c'est comment le film a été fait. Comment Boris Carré et François-Xavier Drouet ont eu l'autorisation de filmer tout ceci comme cela et qu'est-ce que les organisateurs en ont pensé du résultat final ? J'ai eu la désagréable impression que les réalisateurs avaient eu toutes les autorisation nécessaires sans problème mais encore que le film avait plu à ses personnages. Après tout, les intervenants et le jury semblent fermement convaincus de leurs valeurs (pourquoi non ? ) et les petits apprentis ont la foi du charbonnier. Ils sont d'ailleurs touchants parfois avec leurs expression encore enfantines. C'est peut être là le plus grand scandale, comment cette mentalité de la gagne, des affaires à tout prix, salit tout ce qu'elle touche jusqu'à l'enfance. Rien, je crois, ne l'a autant mis hors de moi que ce pauvre garçon qui utilise le fait de s'être occupé de sa petite sœur (ses parents sont morts ou un truc dans le genre) pour montrer qu'il sait « gérer une situation », « manager » et « prendre ses responsabilités ». Pauvre gosse.
L'initiation est un film excellent pour aider à comprendre le monde dans lequel nous vivons et la bande de dangereux maniaques qui nous dirige. On entre en profondeur dans leur processus de pensée et cela donne, comme écrivait l'autre, envie de
Chercher sur la terre un endroit écarté
Où d'être homme d'honneur on ait la liberté.
Mais comme le chantait le regretté Bobby Lapointe :
Seulement voilà y en a pas
Tout est loué depuis Pâques
Alors qu'est-ce que tu veux faire ?
On peut toujours voir L'initiation de Boris Carré et François-Xavier Drouet disponible dans un DVD collectif, Trois petits films contre le grand capital à l'initiative de Pierre Carles.
16:33 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : boris carré, françois-xavier drouet | Facebook | Imprimer | |
Commentaires
Rhaaa, je n'ai pas vu ce film, mais ton énervement est contagieux. Tout ça me met hors de moi, ce petit monde sans morale a mis l'économie à bas à coup de spéculation pour gagner plus sans prendre de risques. Maintenant que les gouvernements ont rattrapé le coup, ce petit monde sans morale appuie joyeusement sur la touche [Suppr] en invoquant la crise, tout en continuant à s'octroyer de généreux bonus, en attendant que les affaires reprennent pour pouvoir recommencer à s'en mettre plein les fouilles. Y'a des mèches courtes qui se perdent...
Écrit par : tepepa | 10/08/2009
Vincent, je te félicite pour ton endurance et ton courage. Je pense que la crise d'apoplexie m'aurait terrassée en moins de 10 minutes. Déjà que la vie courante, l'actualité et l'absence totale de conscience des banquiers, des assureurs, des politiciens, me met hors de moi mais alors, remettre le couvert et m'en servir une louche aussi énorme... les forces me manquent !
Écrit par : Julien | 22/08/2009