Petits déplaisirs cannois (12/06/2008)

Le Festival de Cannes est quand même un peu schizophrène au sens courant du terme, c'est à dire bourré de contradictions. Il y a le fait qu'au sommet du tapis rouge sont projetés des films qui nous parlent, main sur le coeur, de toute la misère du monde pour un public sur son trente-et-un, sortant de sa suite du Carlton ou de son yacht mouillé dans la baie sous la lune pâle. L'écart est si grand entre le défilé des soirées en grande tenue et disons l'univers de la Camorra de Mattéo Garrone ou la révolution de Philippe Garrel que c'en est presque touchant. Les grands idéaux débattus sur l'écran n'empêchent pas les pensées de se tourner vers le lieu de la soirée « à ne pas manquer ce soir » ou les « invitations à retirer chez chose demain ». C'est généralement amusant mais par bouffées, comme un renvoi soudain, c'est insupportable. Le pire, c'est quand je me rends compte que cela nourrit le mépris nuancé de haine de ceux pour qui le cinéma, c'est « un truc de branleurs et un ramassis de feignasses ». C'est de mémoire la teneur des commentaires entendus dans une haie de CRS occupés à garantir la sécurité des joyeux festivaliers il y a trois ans. J'étais reparti le soir même, complètement écoeuré.

Ayant trouvé le personnel d'accueil charmant cette année, je ne dirais rien du déploiement sécuritaire qui d'ordinaire m'insupporte au plus haut point. Il parait néanmoins que l'on a fait évacuer tout un secteur pour que Clint Eastwood puisse présenter Dirty Harry au cinéma de la plage. Heureusement que l'omniprésident n'est pas cinéphile.

Dans un autre registre, mais là je m'y suis habitué, il y a l'attitude d'une partie des journalistes. Lors des séances du matin, si vous entendez claquer les sièges dès la première demi-heure, c'est sans doute un critique consciencieux qui se dépêche de sortir pour pondre le papier dans lequel il dira tout le bien ou tout le mal du film entrevu, grandement aidé par le superbe dossier de presse. J'ai compris cela le jour où un ami journaliste à la radio m'avait demandé comment se terminait tel film (La tregua de Rosi je crois) car son émission, à 13 h 00, ne lui permettait pas de rester aux deux heures du film. D'où une certaine méfiance désormais sur les critiques à chaud et une meilleure compréhension de l'écart qu'il y a parfois entre les avis exprimés sur la croisette et ceux qui le sont lors de la sortie des films à l'automne et à Paris.

Il a fait moche quasiment tous les jours.

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Ah, Cannes, Impetuous ! Homeric !

Dernier grand écart cannois, l'attitude envers les cinéphiles. De plus en plus axé sur l'aspect « professionnel de la profession » de la manifestation, le festival écarte de plus en plus les gens qui aiment les films et payent le reste de l'année pour les voir. Le public averti quoi, les cinéphiles si l'on peut encore écrire ce mot sans arrière-pensée. Cette année, par exemple, les séances de rattrapage du dernier dimanche qui permettait jusque là d'accéder aux films de la compétition, ont été interdites aux badges cinéphiles. Il faut expliquer à ceux qui ne sont pas familiers de la chose, qu'il y a différents badges à Cannes, chacun formant autant de castes avec des droits bien distincts. Les badges cinéphiles représentent le bas de l'échelle, les intouchables de la manifestation. Moi, je suis monté dans l'échelle sociale, mais je reste sensible au sort du lumpenprolétariat cannois. C'est d'autant plus dommage que ce sont ces spectateurs qui créent le bouche à oreille sur un film et peuvent l'aider efficacement. Les grands média sont toujours coincés entre la double exigence de l'actualité et du spectaculaire et ainsi, on plus parlé du Maradona de Kusturica et du Spielberg que de Gomorra de Garrone et pas du tout ou si peu de la restauration de Gamperaliya de Lester James Peries, ou du court métrage magnifique de Sam Taylor-Wood Love you more. Vous m'objecterez que c'est la pratique courante, mais justement, dans le cadre d'un festival qui affiche une ligne exigeante, c'est dommage qu'ils n'arrivent pas à mieux équilibrer la tendance. Les locomotives nécessaires (et pas forcément mauvaises) occultent une partie des films que la manifestation veut mettre en avant. Et le public de base ne peut jouer l'éventuel contre-pouvoir. Dommage par exemple pour un film comme Chealsea on the rocks d'Abel Ferrara diffusé en une unique séance spéciale et qui aurait sans doute bien besoin d'un coup de main.

La programmation de courts métrages en compétition était douloureuse, je me suis endormi quatre fois de suite aux quatre premiers films. Je ne comprends pas comment ils font leur sélection. En mémoire de sa prestation chez Philippe Lioret, je m'abstiendrai de vous dire à quel point le film de Mélanie Laurent est à pleurer d'insignifiance. A zut, je l'ai dit.

J'ai l'air de rouspéter comme ça, mais je serais là l'année prochaine. Je crois.

Photographie Republic Pictures of Belgium (800, rue Royale) pour The Quiet man de John Ford, autre acquisition cannoise de cette année. Pas pu résister.

14:51 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cannes 2008 |  Facebook |  Imprimer | |