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23/01/2016

Ettore Scola par Gérard Courant

06/04/2015

J'avais fini par le croire immortel...

Manoel De Oliveira (par Gérard Courant) 1908 - 2015

28/06/2013

Courant - Garrel, l'entretien (partie 3)

Suite et fin de l'entretien accordé par le cinéaste Gérard Courant (trois doubles DVD aux éditions L'Harmattan) à l'occasion de la sortie en DVD de l'ensemble consacré au cinéaste Philippe Garrel. L'occasion cette fois de remercier le bon Dr Orlof qui me fit découvrir, en son temps, le travail de Gérard Courant avant de me permettre de rencontrer l'homme.

Réalisé pour Les Fiches du Cinéma

11 – Serait-il juste de dire qu'à travers ce travail sur Garrel, tu es plus qu'un témoin mais un passeur et que tu mets en avant tes propres conceptions du cinéma, un peu comme Truffaut avec Hitchcock ?

     Ces 6 films et près de 10 heures de paroles de Garrel s’inscrivent dans ce vaste projet que sont les Carnets filmés. Il faut resituer ce travail dans l’ensemble des Carnets. Aujourd’hui, les Carnets filmés, ce sont plus de 200 épisodes et 250 heures de films terminés (plus, près d’une quarantaine d’épisodes qui ne sont pas encore montés). Et les Carnets filmés, ce sont aussi des films sur d’autres cinéastes (6 avec Werner Schroeter, 6 avec Joseph Morder, 4 avec Luc Moullet, 5 avec Vincent Nordon, 2 avec Marcel Hanoun, d’autres avec Abel Ferrara, Teo Hernandez, etc.). Ce sont des films sur des acteurs et des actrices (Jean-François Gallotte, Zouzou, Béatrice Romand). Ce sont aussi des films sur des personnalités du milieu cycliste (Janine Anquetil, Maurice Izier, Olivier Dazat). C’est encore des films sur des villes. Des villes où j’ai vécu (15 films avec Lyon, 8 avec Dijon, 3 avec Saint-Marcellin), des villes (23 films à Dubaï, 6 à Marseille, 3 à Lucca, 3 avec Buenos Aires) ou une île (4 films à Alicudi, au large de la Sicile) que j’aime.

     Dans les Carnets consacrés aux cinéastes, je me mets au service des artistes que j’aime et que je filme. J’essaie de mettre en valeur leur pensée, leur art et la qualité de leurs films en trouvant une forme qui soit en adéquation avec leur style et leur esthétique. Je ne sais pas si j’y arrive mais c’est mon objectif et, en aucun cas, le but est de tirer la couverture à moi. Je n’ai jamais cherché à me faire de la publicité sur le dos des cinéastes et artistes que j’ai filmés. Au contraire, mon plaisir de créer a toujours été de me fondre dans leur œuvre pour en sortir le plus précieux et le plus profond de leur art.

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12 – Cet ensemble couvre le Garrel des années 60 au début des années 80. As-tu abordé sa carrière des années suivantes et quel regard portes-tu sur les films qui ont suivi ?

     Ces entretiens s’arrêtent au Bleu des origines, distribué en salle par le futur producteur Paolo Branco (à cette époque, il était distributeur et exploitant de salle) au début de l’année 1979. Quand nous avons enregistré les entretiens de mai et juin 1982, Philippe Garrel parle de L’Enfant secret, tourné en 1979, que je n’ai pas encore vu à ce moment-là. Une première version du film est terminée, mais, pour des questions financières, le film est bloqué au laboratoire et il est invisible. Ce n’est qu’à l’automne de la même année que tout se régularise avec le Centre National de la Cinématographie qui débloque l’avance sur recettes que Garrel avait reçu quelques années auparavant. Garrel va alors retravailler son film en réduisant sa durée d’environ une demi-heure. Je découvrirai le film seulement à la fin de 1982 et le film sortira en 1983.

     Ces entretiens de 1982 font le bilan d’une période (de la fin des années 1960 à la fin des années 1970) qui s’avère, pour l’instant, la plus riche de Garrel (et aussi de Werner Schroeter dont mon travail cinématographique concerne ces mêmes années).

    Bien sûr, les films qu’il a créé après L’Enfant secret m’intéressent beaucoup, mais pas de la même manière que ses films précédents. Les films des années 1970 étaient des films utopistes, révolutionnaires, épurés, jusqu’au-boutistes, uniques qui ne ressemblaient en rien à ce qui avait été fait auparavant au cinéma et qui, depuis, n’ont jamais été copiés.

     Les cinémas de Philippe Garrel et Werner Schroeter étaient le témoignage d’une époque pré et post-révolutionnaire qui n’existe qu’une ou deux fois pas siècle. Garrel et Schroeter sont arrivés au bon moment et ils se trouvaient au bon endroit.

     Ma chance fut d’être présent à ce moment-là. Si j’étais arrivé plus tôt ou plus tard, mes films sur Garrel et Schroeter n’auraient jamais existé car la flamme de leurs ciné-poèmes n’aurait pas encore été allumée ou aurait été déjà éteinte.

     Les films de Garrel des années 1970 n’étaient pas des films qui s’ajoutaient les uns aux autres pour constituer une œuvre au sens classique du terme. Chaque film essayait de changer le monde, de proposer une nouvelle manière de vivre, d’inventer une utopie. Il n’y avait pas de plan de carrière caché en filigrane comme c’est devenu systématiquement le cas aujourd’hui dans le cinéma dit d’auteur, nouvelle tarte à la crème d’un certain cinéma français qui n’a plus rien à dire et plus rien à montrer. Chaque film était un cocktail Molotov prêt à exploser.

13 – Est-ce que Garrel a vu ces films ?

     J’ignore s’il les a vus. Je sais seulement qu’il les a eus en sa possession lorsqu’ils furent terminés et que les éditions L’Harmattan lui ont également envoyé les 3 coffrets lorsqu’ils les ont été édités en DVD. Mais il ne m’a jamais dit ce qu’il en pensait. Le connaissant, c’est plutôt bon signe. S’il n’avait pas été satisfait, il aurait fait des remarques.

     Il faut dire que cette attitude ne m’étonne pas car elle est très fréquente dans le milieu du cinéma. C’est un monde où l’on ne sait pas dire « merci ». Les gens de lettres sont bien mieux éduqués car ils ont la politesse de répondre (parfois un peu trop mécaniquement et pompeusement, je l’admets) à un envoi. Dans le cinéma, ceci est guère pensable. Les personnalités du cinéma (producteurs, cinéastes, acteurs) considèrent que tout leur est dû.

     Toutefois, il y a d’heureuses exceptions qui rattrapent ce manque de savoir vivre. Je pense à Éric Rohmer qui était la politesse même ou à Joseph Morder qui a reçu une éducation à la fois juive et british qui le vaccine contre de tels comportements.

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14 – Aujourd'hui quelle est la place de ce cinéma très libre ? Comment sont accueillis ces témoignages et cette poétique du cinéma qu'ils développent ?

     Nous vivons aujourd’hui dans une société robotisée, faite d’assistés, à des années lumières de la société rêvée des années post-68. Les jeunes d’aujourd’hui pensent plus à leur retraite qu’à inventer des nouvelles formes d’art et de vie. Qui aurait pu imaginer, dans les années 1970 que des manifestations contre les projets de retraite rassembleraient autant de jeunes ?

     Cela dit, la place de ce cinéma était déjà très marginale dans les années dont nous parlons. Le succès relatif de La Cicatrice intérieure a masqué la forêt des autres films qui eurent un public plus confidentiel ou pas de public du tout. Ce cinéma ne vendait pas d’idée et ne cherchait pas à faire de l’argent.

     Ce cinéma n’était pas fait pour avoir du succès. Il était un peu, toutes proportions gardées, comme celui de la Nouvelle Vague. Comme l’expliquait bien Jacques Rivette, à propos de cette dernière, c’étaient des films de rupture dont le simple fait d’exister était une victoire contre le cinéma académique dominant.

     Et si certains films de la Nouvelle Vague ont connu un succès d’estime (Le Beau Serge) ou le succès tout court (Les Cousins, Les Quatre cents coups, À bout de souffle), c’était à cause d’un malentendu dû à leurs sujets, à leur côté moderne et branché.

     Aujourd’hui, la place de ce cinéma est devenue microscopique. Il n’y a plus que des Vincent Roussel ou des Vincent Jourdan et quelques étudiants japonais ou coréens du Sud pour s’y intéresser.

15 – Dans un court-métrage de l'ensemble, il y a Zanzibar à Saint-Sulpice, tourné en 1999. Au-delà d'une certaine nostalgie, il y a de nombreux enfants autour des artistes, comme une promesse d'avenir. Quel serait l'héritage du cinéma de Garrel de cette époque ?

     C’est l’historienne américaine Sally Shafto qui avait eu l’idée de réunir toute la famille Zanzibar au café de la mairie, place Saint-Sulpice à Paris : Philippe Garrel, Jacques Baratier, Serge Bard, Jackie Raynal, Zouzou, Patrick Deval... Certains ne s’étaient pas vus depuis plus de vingt ans ! Les enfants que l’on voit dans le film sont ceux de Philippe Garrel : Esther et Lena.

     Il ne peut que s’agir d’un héritage diffus car le cinéma (la pellicule cinématographique) est en train de disparaître. Il ne peut plus y avoir cette religion du cinéma comme elle a existé jusqu’à la fin du siècle dernier. On ne peut plus se suicider en se coupant les veines avec de la pellicule 35 mm comme tentait de le faire Jean-Pierre Léaud dans La Concentration.

     Les années 1970 furent la dernière décennie où l’on a pu aller à l’essentiel. Aujourd’hui, il y a trop de technologie qui nous entoure pour pouvoir nous concentrer sur cet essentiel et le cinéma n’intéresse plus qu’une minorité d’étudiants, d’artistes et d’intellectuels. Le cinéma a été remplacé à la fin du siècle dernier par la télévision (je ne parle pas des films diffusés à la télévision) et, aujourd’hui, la télévision est remplacée par le net.

    Quand Kodak aura complètement supprimé la pellicule cinématographique et que tous les films seront imprimés sur des cartes mémoire, il sera alors possible pour la nouvelle génération de réinventer le Cinéma. Quand ? Comment ? Nul ne le sait.

Photographies : Gérard Courant et capture DVD L'Harmattan

Les DVD

Le site de l'éditeur

Le site de Gérard Courant

26/06/2013

Courant - Garrel, l'entretien (partie 2)

Suite de l'entretien accordé par le cinéaste Gérard Courant (trois doubles DVD aux éditions L'Harmattan) à l'occasion de la sortie en DVD de l'ensemble consacré au cinéaste Philippe Garrel.

Réalisé pour Les Fiches du Cinéma

6 – Sur la partie politique, il y a des passages étonnants sur son sentiment à la victoire de la gauche en mai 1981. C'est littéralement la chanson de Barbara : « Regarde, l'air semble plus léger, etc. ». Il rêve aussi de voir arriver Michel Rocard au pouvoir. Avec le recul, est-ce que vous avez eu l'occasion de revenir sur ces déclarations, de porter un regard critique sur ce moment particulier ?

     Pour comprendre cette attente de changement, il faut savoir qu’en 1981, cela faisait 23 ans que la droite gouvernait. Tous les jeunes n’avaient connu qu’un seul pouvoir, celui du gaullisme et de sa dégénérescence libérale, le giscardisme. L’attente était si forte que, sur le long terme, elle ne pouvait qu’être déçue.

     Cela dit, je n’ai jamais cru en Michel Rocard. Rocard était surtout apprécié par les centristes et les gens de droite, particulièrement ceux qui détestaient Mitterrand.

    Le changement est arrivé bien trop tard. En 1981, on avait déjà changé d’époque. Les mouvements radicaux de gauche s’étaient essoufflés. Il aurait fallu que le changement ait lieu en 1974, lors de la précédente élection présidentielle...

     Je n’ai jamais eu l’occasion de revenir sur ces questions avec Garrel car lorsque nous nous voyons c’est toujours rapidement. Bizarrement, depuis le festival de Berlin 1983 où nous avions participé au même festival (j’y montrais She’s a very nice lady et, lui, L’Enfant secret), nous ne nous sommes plus jamais croisés dans un festival qui est un lieu très propice pour les rencontres et les discussions. Et pourtant, j’ai l’impression de n’avoir jamais cessé de parcourir la France et le monde (notamment celui des festivals) pour y montrer mes films.

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7 – Dans les interventions à Digne, Garrel parle beaucoup de technique, du geste artisanal du cinéaste, au point d'avoir tourné avec une caméra à manivelle. Il se réfère également aux frères Lumière. Une filiation partagée ?

     Parlons du côté technique. Déjà, il faut savoir que jusqu’à Athanor (1973), Philippe Garrel a toujours travaillé avec des directeurs de la photographie. En particulier, Michel Fournier (le père d’Aure Autika) qui a fait un travail fantastique sur La Cicatrice intérieure et Athanor. Ce dernier film est une rupture dans cette période des années 1970. En effet, après de multiples montages, ce long-métrage a été réduit à 20 minutes ! Ce qui fit le désespoir de Michel Fournier. Quand je l’ai rencontré, en 2001, dans son repère de Semur-en-Auxois (ville que je connaissais car j’y avais été pensionnaire de 1963 à 1965), il ne me parlait que de ça, de sa tristesse d’avoir vu partir ce film en lambeaux. Pour lui, c’était un crime contre le cinéma. On n’avait pas le droit de détruire un film de cette manière. Il ne s’en est jamais remis et a, peu après, abandonné le cinéma. Quel dommage car c’était l’un des directeurs de la photographie les plus doués du cinéma.

     Après Athanor, sans argent, sans directeur de la photo et sans cameraman, Philippe Garrel a été contraint de faire l’image (et parfois le son) lui-même. D’où cette nouvelle approche, ce nouveau style (et, il faut le dire, cette nouvelle esthétique) dans son cinéma, en effet plus artisanal. Il va réaliser un ensemble de films dont il est à la fois le directeur de la photo et le cameraman (et, pour les films sonores, l’ingénieur du son) : Les Hautes solitudes (1973), Un ange passe (1975), Le Berceau de cristal (1976), Voyage au jardin des morts(1978), Le Bleu des origines (1979), le fameux bijou tourné à la manivelle. Ce sont des films qui sont toujours passionnants et qui atteignent parfois les sommets. Le Berceau de cristal est peut-être le plus grand Garrel avec La Cicatrice intérieure. De plus, c’est le seul film où il met en scène son meilleur ami, le peintre Frédéric Pardo qui, quelque part, était son alter ego dans le domaine de la peinture. (En 1991, Garrel a raconté cette relation avec Pardo dans J’entends plus la guitare).

     J’en viens aux frères Lumière. Ils sont la base de tout le cinéma. Henri Langlois l’a très bien expliqué dans cet excellent film d’Éric Rohmer, Louis Lumière (1966, 66 minutes), produit par l’Institut Pédagogique National, dans lequel le co-fondateur de la Cinémathèque française dialogue avec Jean Renoir. (Le film a été édité en DVD en bonus du Signe du lion). L’importance des Lumière n’est pas seulement d’avoir inventé le cinéma (son tournage et sa projection en une seule machine, le cinématographe) mais d’avoir inventé une esthétique, que dis-je, bien plus que ça, une vision du monde venue en droit-fil de l’Impressionnisme.

    Lumière, c’est ce cinéma brut qui ne pouvait que charmer ces inventeurs de formes que sont Jean-Luc Godard, Andy Warhol et Philippe Garrel.

    Et puis, les films des frères Lumière, c’est le cinéma en train de naître. Quand on voit un des premiers films des frères Lumière, on a l’impression de voir naître un art.

     Alors, oui, quand j’ai vu mes premiers films de Garrel, j’ai senti cette même filiation avec Lumière.

8- Il y a un nom qui revient souvent dans ces entretiens, c'est celui de Jean Luc Godard ?

     Après Lumière, il y a Godard. Godard, c’étaient les fondations indispensables et essentielles pour tous les cinéastes qui essayaient de faire un nouveau cinéma dans le monde : Bernardo Bertolucci, Glauber Rocha, Rainer Werner Fassbinder, Brian de Palma et beaucoup d’autres...

     Il est certain que si Godard n’avait pas existé, le cinéma aurait été différent. Je ne vois pas d’autre cinéaste qui a eu cette capacité à influer autant sur la manière de faire des films. Pas même Orson Welles. Ni Sergueï Eisenstein. Ni même le Néoréalisme.

     Dans les entretiens de 1982, on parle beaucoup de Godard car c’était l’époque où il avait réussi un come-back auquel, dans le cinéma, peu de gens le croyaient capable. Après ses films militants du groupe Dziga Vertov (1968-1972), ses expériences vidéos à Grenoble (1974-1976), puis en Suisse (1977-1979) et un premier come-back brillamment raté (Tout va bien, en 1972), Sauve qui peut (la vie) (1980) et Passion(1982) renouaient avec un système de production qui avait fait sa renommée et sa gloire. Et ces deux films avaient une certaine élégance dans l’art de faire des films. De nouveau, Godard, peignait des toiles de maître.

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9 – Sur un autre plan, il a une réflexion poussée sur l'économie de ses films et du cinéma. Vu ton propre parcours de cinéaste, c'est quelque chose dont tu te sens proche ?

      Sur les films des années 1970, oui. Complètement.

     À partir des années 1980, Philippe Garrel a su trouver des moyens financiers plus importants pour faire ses films. Il s’est glissé dans un système plus codifié de production des films.

     Dans la production des films de Garrel des années 1970, peu importe l’importance du budget d’un film, l’objectif prioritaire est que ce dernier se rembourse. Pour Garrel, il est préférable de réaliser un film à petit budget qui se rembourse ou qui gagne un peu d’argent plutôt que de réaliser un film à gros budget qui perd de l’argent. Cette façon de voir relève peut-être de l’évidence, mais, dans l’économie du cinéma, elle est aux antipodes de la manière de faire de beaucoup de producteurs. Certains producteurs sont prêts à perdre beaucoup d’argent sur certains films pour se faire une belle carte de visite qui leur permettra, par la suite, de produire certains cinéastes de renom ou de produire leurs prochains films plus facilement.

     En ce qui me concerne, d’une manière générale, je ne perds pas d’argent sur mes films car c’est eux qui, depuis mes débuts, me font vivre. Si je perdais de l’argent, je ne pourrais plus vivre de mon art et j’arrêterais de faire des films.

10 – Et sur l'approche poétique, sensible, même si vos films traversent des paysages différents, pourrait-on dire que vous êtes compagnons de voyage ?

     Bien sûr. Sauf qu’il est important de préciser qu’il y a d’autres compagnons de voyage embarqués dans le même petit train omnibus : Werner Schroeter, Sergueï Paradjanov, Glauber Rocha, Yoshishige Yoshida, Jean-Luc Godard, Luc Moullet, Joseph Morder, Teo Hernandez.

     À partir des années 1980, Garrel a changé de train : il a choisi le TGV. C’est ce qui explique que nous avons maintenant autant de peine à nous croiser puisque j’ai continué dans le même omnibus.

(à suivre)

Photographies : Gérard Courant et capture DVD L'Harmattan

24/06/2013

Courant - Garrel, l'entretien (partie1)

A l'occasion de la sortie en DVD de l'ensemble consacré au cinéaste Philippe Garrel par le cinéaste Gérard Courant (trois doubles DVD aux éditions L'Harmattan), le créateur des Cinématons a accepté de répondre à quelques questions, exercice auquel il s'est prêté avec sa générosité coutumière. Qu'il en soit ici chaleureusement remercié.

Réalisé pour Les Fiches du Cinéma

1 – Te souviens-tu de la première fois que tu as vu un film de Philippe Garrel ?

     Oui, très bien, c’était au cinéma Eldorado de Dijon, le mardi 13 février 1973. Près d’un an après sa sortie à Paris, La Cicatrice intérieure arrivait enfin à Dijon. Il faut donner toute sa signification au mot « enfin » car c’était la première fois qu’un film de Philippe Garrel était montré à Dijon ! Le film était projeté dans le cadre des soirées présentées par la revue Culture cinéma qui était une revue de cinéma dijonnaise consacrée exclusivement aux films présentés dans la capitale de la Bourgogne. Ces séances avaient lieu tous les mardis soir. La revue organisait une soirée-débat animée par un critique (l’excellent Jean Collet était le plus fidèle car, enseignant à l’université de Dijon et étant par conséquent souvent sur place, il était régulièrement « réquisitionné » pour ces soirées) ou un historien du cinéma, le réalisateur ou un des acteurs du film que l’on venait de voir. Pour La Cicatrice intérieure, c’est Jacques Robert, le distributeur du film, qui s’était déplacé pour le défendre.

     La salle (environ 300 places) était pleine. À la fin du film, au moment où les lumières s’allumèrent, plana un immense silence. Et puis les premières questions fusèrent. Le débat entre Jacques Robert et une partie du public devint même houleux. Certains spectateurs furent agressifs vis-à-vis de l’intervenant qui ne se laissa pourtant pas marcher sur les pieds. (Jacques Robert avait été l’un des dirigeants de la FFCC, la Fédération Française des Ciné-Clubs et il était impossible de le déstabiliser tant il connaissait, en fin politique de l’animation des films, les ficelles d’un débat).

     Le public ne comprenait pas pourquoi un cinéaste avait pu faire un tel film et ne voyait pas à quoi ce film pouvait servir.

     Un exemple du dialogue :

     Un spectateur (à Jacques Robert) : « C’est donc vous qui avez sorti ce film ? »

   Jacques Robert : « Et j’en suis fier. Le simple fait de proposer un film comme La Cicatrice intérieure au public me confirme que j’ai eu raison de faire ce métier ».

     Le spectateur : « Ça consiste en quoi, faire ce métier ? »

     Jacques Robert (pédagogue) : « Être distributeur, c’est voir des films, choisir ceux qu’on aime ou qui méritent d’être montrés. C’est acheter les droits pour les projeter dans des salles de cinéma, faire de la promotion, tirer des affiches, faire venir des journalistes pour qu’ils en parlent dans leurs journaux ou dans leurs radios… Et dans le cas du cinéma de Philippe Garrel, c’est faire découvrir une œuvre forte qui compte déjà dans l’art du cinéma d’aujourd’hui et qui comptera encore plus dans le cinéma de demain… »

     Le spectateur (jubilant) : « Vous avez donc payé pour montrer ce film ? »

     Jacques Robert (fier) : « Et j’ai même gagné de l’argent ! »

     Une partie de la salle applaudit.

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2 – Au milieu des années 70, tu écris dans plusieurs revues de cinéma. Quand tu fais le premier voyage à Digne, en 1975, est-ce en tant que critique où l'idée d'un film est déjà là ?

     Quand je suis allé aux rencontres « Pour un autre cinéma » de Digne, en 1975, je préparais mon déménagement pour m’installer à Paris et je réfléchissais aux films que j’espérais faire dans la capitale. Je n’étais pas à Digne comme critique (je commençais à peine à écrire sur le cinéma) mais comme apprenti cinéaste et simple cinéphile. J’étais surtout à Digne pour observer et apprendre. À ce moment-là, je n’étais sûr de rien, mais je me préparais à tout. La preuve ? J’avais demandé à un ami, propriétaire d’un magnétophone, d’enregistrer les deux débats que Garrel a eu, cette année-là, avec le public. Je savais que j’en ferais un film, que j’utiliserais ce matériel mais, encore trop ignorant de la technique cinématographique, je ne savais pas encore quand et comment.

     Pour reprendre l’expression de Cocteau, j’étais dans un état de somnambulisme éveillé.

3 – Le cinéma de Philippe Garrel te passionne au point de le programmer au ciné-club universitaire de Dijon, d’écrire des articles enthousiastes et de lui consacrer un livre. Qu'est-ce que ce cinéma représente alors pour toi ?

     Nous avions programmé La Cicatrice intérieure au Ciné-Club Universitaire de Dijon le 25 février 1976 et, contrairement à sa première diffusion, le film avait connu un authentique succès.

     Le cinéma de Philippe Garrel des années 1970 (disons de Marie pour mémoire, en 1967, au Bleu des origines, en 1979) représente une manière complètement nouvelle de faire des films qui est en adéquation avec une certaine utopie poético-révolutionnaire. Garrel s’éloigne du roman classique et du cinéma américain (qui étaient la marque de fabrique de la Nouvelle Vague) pour entrer dans un univers poétique, celui de Lautréamont, de Rimbaud et d’Artaud, de la pop music et des expériences psychiques et psychédéliques. Avec Garrel, on quittait le monde de la culture pour entrer dans le monde de la contre-culture. On quittait un monde normalisé pour s’engouffrer dans un cinéma révolutionnaire. Bien plus révolutionnaire que les films dits militants qui empruntaient trop souvent une forme académique pour défendre des idées révolutionnaires.

     C’était donc un cinéma poétique et personnel qui était en opposition avec le cinéma dit militant et, bien plus encore, avec le cinéma dit de qualité française. Il me semblait que ce cinéma avait un siècle d’avance sur tout ce qui se faisait à l’époque. Il me semblait aussi que ce cinéma avait comblé son retard sur les autres arts : la peinture, la sculpture, la musique et qu’il pouvait parler d’égal à égal avec eux. C’était une sacrée révolution !

     Et quand j’ai décidé de clôturer mon activité de critique que je partageais essentiellement entre Cinéma (qui dépendait de la Fédération Française des Ciné-Clubs) et Art press, j’ai voulu rendre un hommage à mes deux cinéastes fétiches, Werner Schroeter et Philippe Garrel en écrivant un livre sur chacun d’eux. Celui sur Werner Schroeter est paru fin janvier 1982 et celui sur Philippe Garrel, constitué en grande partie des entretiens du printemps 1982, en janvier 1983.

4 – Il y a six enregistrements de la parole de Garrel, deux lors de débats à Digne, quatre réalisés lors de la préparation de ton livre sur le cinéaste. Comment, et quand, prennent forme les carnets filmés réalisés à partir de cette matière « brute » ?

     Le concept des Carnets filmés est né très tôt en une époque où je ne savais pas ce qu’était vraiment le cinéma et encore moins que je deviendrais cinéaste. Dès mon enfance, j’ai commencé à conserver toutes sortes de documents (livres, photos, programmes, affiches) sur mes passions (cinéma, cyclisme) et dès que je me suis mis à filmer, j’ai conservé précieusement et pieusement tout ce que je tournais, même ce qui me semblait, au premier abord, moins intéressant. Je savais que j’utiliserais un jour ce matériel mais je ne savais pas quand et comment.

     En ce qui concerne ces documents de Philippe Garrel, enregistrés sur des cassettes sonores, tout de suite j’ai su que j’en ferais quelque chose. J’avais même fait des doubles des cassettes afin d’être sûr de pouvoir mieux les préserver contre l’usure, la perte ou le vol.

     Au fil des années, j’ai accumulé des centaines de documents sur Garrel et ses films en sachant que ça me servirait un jour. C’est au début des années 1990 lorsque les Carnets filmésprennent forme que j’ai su comment j’allais utiliser ce matériel et que j’ai commencé à travailler dessus. Chaque Carnet filmé est daté non pas de la date de la fin du montage ou de la date de la présentation à un public (comme c’est le cas pour les films en général) mais à la date du tournage ou de l’enregistrement. C’est de cette manière qu’œuvrent la plupart des écrivains qui tiennent un journal. Très souvent, ce journal est publié bien des années après la prise des notes au jour le jour lorsque l’auteur les a remis en forme pour la publication.

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5 – Garrel est très marqué par le contexte de cette époque, politique en particulier avec mai 68 dans lequel il est très investi. Il y en a un témoignage très vivant avec Zouzou à Saint Denis. C'est quelque chose que tu as vécu de la même façon ?

     En mai 1968, j’habitais à Dijon et la ville était très calme comparée à Paris. On dit souvent que la France est un pays coupé en deux : d’un côté, il y a Paris et, de l’autre, le reste de la France. C’était exactement ça à Dijon. Les choses commencèrent à changer dans les mois et les années suivantes avec un énorme décalage avec la capitale. Quand on voyait ce qui se passait à Paris dans ces années charnières des sixties et des seventies, ça donnait très envie de s’installer dans la capitale. J’enrageais de voir ce décalage et chaque fois que j’allais à Paris, je constatais les différences entre ces deux mondes. Paris était en ébullition alors que la province dormait.

     Alors, non, je n’ai pas pu vivre cette période comme Garrel, Zouzou, Nico, Clémenti, Kalfon, Marc’o, Bulle Ogier, Juliet Berto, Valérie Lagrange et les autres et je le regrette profondément. Cela dit, ce fut peut-être pour moi un avantage car ce décalage fut une période de réflexion et de maturation qui m’ont été fort utiles quand j’ai commencé à faire des films au milieu dans années 1970.

(à suivre)

22/06/2013

Courant - Garrel, rencontre au sommet

D'un cinéma l'autre - Philippe Garrel. Plusieurs films de Gérard Courant

Pour les Fiches du Cinéma

Le plaisir que l’on peut prendre à la découverte de l’œuvre de Gérard Courant est avivé ces derniers temps par les nouvelles possibilités offertes au spectateur curieux. Soucieux de contrôler son travail, l’auteur a pris à bras le corps l’espace ouvert d’Internet et a organisé sur son site la promotion de son œuvre multiple avec la rigueur et l’exhaustivité que nous lui connaissons. Elle est désormais classée comme sur ses propres étagères. Mieux, il a mis nombre de ses films à disposition sur son compte Youtube qu’il nourrit avec générosité. Mieux encore, les édition de l’Harmattan ont entrepris la publication de ses travaux autour de cinéastes et quels cinéastes ! : Werner Schroeter, Philippe Garrel, Vincent Nordon, Joseph Morder, Luc Moullet. Sous le terme générique D’un cinéma l’autre, la collection regroupe documents filmés et sonores, carnets filmés, entretiens, documentaires, courts métrages et Cinématons.

L’ensemble force le respect car ce qui frappe, c’est l’ampleur du matériau accumulé depuis 1975 et sa qualité. Tous ces cinéastes sont désormais reconnus, quoique cela veuille dire, et le patient, minutieux travail de Gérard Courant, représente une somme qui raconte l’histoire de tout un pan du cinéma français et au-delà. Une histoire trop peu connue qui ne demandait qu’a être contée, qui sera une parfaite introduction au néophyte et qui ravira l’initié qui ne soupçonnait peut être pas qu’une telle mémoire ait été préservée. Autre aspect remarquable, ce travail n’a été motivé que par le désir de Gérard Courant, son admiration pour les cinéastes abordés et la passion qu’il porte à leur films et à leur démarche d’artistes.

L’ensemble consacré à Philippe Garrel comprend près de 12 heures de film autour essentiellement de la parole de l’auteur de La cicatrice intérieure (1971), Elle a passé tant d’heures sous les sunlights (1985) ou Le vent de la nuit (1999). Il y a six films d'entretiens : Philippe Garrel à Digne (premier voyage) (1975), Philippe Garrel à Digne (Second voyage) (1979), réalisés à partir de captations sonores de débats lors des Rencontres Cinématographiques de Digne. Suivent Passions (entretien avec Philippe Garrel I), Attention poésie (entretien avec Philippe Garrel II), L’Art, c'est se perdre dans les châteaux du rêve (entretien avec Philippe Garrel III) et L’œuvre est unique car elle consolide notre liberté (entretien avec Philippe Garrel IV). Tous ont été réalisées en 1982, à partir des entretiens menés par Gérard Courant pour son livre Philippe Garrel : entretiens (Studio 43, 1983).

En 1975, Gérard Courant se rend donc à Digne pour les Rencontres cinématographique et enregistre au magnétophone le débat qui suit la projection d'un ensemble de cinq films : Le Révélateur (1968), Le Lit de la Vierge} (1969), La Cicatrice intérieure (1972), Les Hautes Solitudes (1974) et Un ange passe (1975), le 2 mai 1975. A cette époque, Gérard Courant écrit pour diverses revues de cinéma et il s’est pris de passion pour le cinéma de Garrel «Pour Philippe Garrel, le cinéma n'est pas seulement un moyen d'exprimer son art, il est également une immense bouée de sauvetage et de survie sans laquelle il périrait noyé dans les profondeurs de notre monde capitaliste.» (Les Soleils d’Infernalia n° 11, décembre 1976 ).

A partir de cet enregistrement, document brut, il réalise un premier carnet filmé Philippe Garrel à Digne (premier voyage). Ce film de 1978 propose l'intégralité du débat avec le public. Il définit une forme qui sera celle des cinq autres carnets filmés autour de Garrel : la bande son brute avec une image de fond composée de feux d'artifices, éclairs de lumière filmés en super 8 et ralentis, une trame onirique avec un effet quasi hypnotique. Par dessus, un gros travail d'illustration des propos à l'aide de multiples photographies, d'extraits des films de Garrel discutés (On verra par exemple le travelling circulaire de La cicatrice intérieure quand on parlera de sa technique), et d'extraits de films de Gérard Courant qui, fidèle à son principe de transversalité, fait intervenir d'autres archives, ses Cinématons notamment. Que l'on parle de Jean-Luc Godard (Courant parle beaucoup de Godard avec Garrel) et l'on voit apparaître le fameux portrait filmé de JLG avec son cigare. Que l'on évoque Nico, et elle apparaît,le visage nimbé d'éclairs de lumière. Soucieux de rigueur et de clarté, Courant use d'intertitres pour préciser telle ou telle information. Une question au fond de la salle à Digne n'est pas très audible ? Courant nous la fait apparaître à l'écran. Les bandes-son de Digne, sans doute prises avec un simple magnétophone à cassette, demandent une certaine attention mais leur côté brut nous projette en 1975 dans la salle, ce qui est assez remarquable.

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L'exercice pourrait être fastidieux. Mais pas du tout, y compris pour quelqu'un comme moi qui connaît mal le cinéma de Garrel. Très vite s'impose la voix du cinéaste, un peu basse, très douce, envoûtante, avec cette façon de dire « très, très, très, très » pour ce qui lui semble important. Son propos passionne, ne se limitant pas au cinéma mais abordant politique, peinture, musique, éthique, économie du cinéma, psychanalyse, littérature. Il accepte en débat la contradiction (sur la question essentielle de la façon de filmer les femmes), se révèle critique sur son travail, parfois même impitoyable, mais aussi fait passer sa force de conviction. Il passionne, c'est le mot. Cet ensemble de films définit les contours d'une philosophie esthétique et économique du cinéma et de sa pratique. Que filmer ? Pourquoi filmer ? Comment filmer ?

Pour ceux qui ont vécu cette époque, comme pour ceux qu'elle fascine, celle de la fin des années 60, du grand mouvement de mai 68 et des années 70 qui ont suivi jusqu'à la victoire de François Mitterrand en 1981, le principe affectif joue à plein. Avec le recul il y a même matière à réflexion quand Garrel fait revivre par ses réflexions ce qu'à représenté la victoire socialiste de mai, quand il s'enthousiasme, illustrant littéralement le "passage de l'ombre à la lumière" vanté par Jack Lang à l'époque où "L'air semble plus léger" chanté par Barbara à Pantin en 81. On méditera sur cette idée que la prochaine étape, pour Garrel, aurait été l'élection de Michel Rocard (« Notre génération devra l'élire » dit-il). C'est vrai, à l'époque, certains d'entre nous ont pensé cela. A méditer également cette réflexion qu'après les combats des années 70, que Garrel a vécu difficilement, il est désormais heureux, que tout va bien et qu'il se repose. Il serait très intéressant de reprendre aujourd'hui la discussion et de revenir sur ce repos des intellectuels et artistes après 1981, mais c'est une autre histoire.

Au fil des entretiens, on comprend pourquoi Courant s'est enthousiasmé pour le cinéma de Garrel et pourquoi il a reconnu en lui un frère en cinéma. Garrel a commencé très jeune, à 16 ans après un stage sur le film de Claude Berri, Le vieil homme et l'enfant (1968). Il réalise dans l'urgence son premier court métrage, Les enfants désaccordés. « Ce qui me branchait à l'époque, c'était d'être le plus jeune cinéaste du monde : tourner un film 35 mm à 16 ans. » (Les cahiers du cinéma n° 671, octobre 2011). Il développe alors un système de production personnel et très léger qui lui permet de faire les films qu'il veut faire, sans compromis, à la manière d'un peintre où d'un poète. Les films sont ainsi de durée ou de format variable, dépouillés mais aux mouvements majestueux, à la photographie, parfois en couleurs, parfois en noir et blanc, splendide. Les films de Garrel classés alors comme expérimentaux, relèvent pleinement de l’œuvre d'art. Le réalisateur estime qu'il vaut mieux tourner, même comme on peut, plutôt que pas du tout. On voit là où se situe la proximité avec Courant, ils partagent une éthique, une poésie, une philosophie et une économie de l'acte créateur au cinéma.

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Dans les entretiens de 1982, Garrel revient longuement sur les rapports de production et il se révèle très conscient du problème de l'argent. Pour lui, il y a de la place pour des films comme les siens, à condition qu'ils soient produits à une échelle modeste. Il a également pensé à conserver l'ensemble des droits sur son œuvre, ce qui lui permet par exemple aujourd'hui de mettre à disposition Elle a passé tant d'heures sous les sunlights sur Internet. Ces échanges sont toujours d’actualité. La question technique se greffe sur ces réflexions. Garrel avoue une certaine méfiance pour la machinerie du cinéma. Sur les films de sa première période, il est le plus souvent seul avec ses acteurs et actrices. Rapport à la peinture encore, avec ce côté peintre-modèle que l'on peut trouver dans ses films avec Jean Seberg, Anémone ou Nico. Mais il revendique aussi le côté artisanal. Il tournera ainsi avec une caméra à manivelle, manière de revenir au geste des frères Lumière, autre point de contact avec le travail de Gérard Courant dont nombre de séries, les Cinématons les premiers, sont basés sur le principe des vues Lumière. On retrouvera ce goût pour les méthodes anciennes avec l'utilisation par Garrel de lampes à arc dans les années 90. mais pour lui la technique est un faux problème et il revendique le droit à l'erreur. Belle déclaration quand il dit que l'Art n'a rien à voir avec le travail bien fait. Il rejoint ici François Truffaut qui pensait que les films respiraient par leurs défauts.

Dans le même temps, Philippe Garrel, aiguillonné par les questions de Gérard Courant (et du public à Digne) cherche à définir ce que doit être un film, du moins pour lui. Il y a la figure essentielle de Jean-Luc Godard que les deux hommes admirent, en particulier autour du film Passion sortit en 1981 qui donne son titre au premier film des entretiens. Garrel fait preuve d'une grande culture et prône la transversalité des arts. Films-peintures, films-poémes, films-musiques, Le réalisateur imagine dans un passage lyrique des films désaliénants, que l'on pourrait utiliser pour tous les âges de la vie et en toutes circonstances, en couple ,avec un enfant, etc. Et par dessus tout domine l'Amour. L'Amour transformé en art est ce qui émeut le plus Garrel. Je repensais alors à cette phrase de Catherine Deneuve devant une photographie de son metteur en scène pour {Le vent de la nuit}, tendrement grave : « C'est un visage qui a souffert, qui a souffert par amour ». Défilent au cours des films les visages aimés de ses actrices. Mais il serait fastidieux de conter par le détail le contenu des six films. Ils constituent un inestimable témoignage, et ce mot est au cœur du travail de Gérard Courant, comme un voyage poétique dans l'univers d'un artiste particulier. Garrel ouvre grand les portes de sa sensibilité, n'hésitant pas à aborder des expériences douloureuses comme son internement en asile psychiatrique à Rome ou la douleur de la perte de ses amis Jean Eustache ou Jean Seberg.

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L'ensemble se complète du Cinématon de Garrel tourné en 1982 , de Zouzou à Saint Denis (2005), entretien autour d'une table de restaurant avec l'actrice Zouzou qui évoque avec sa belle voix à la Arletty des souvenirs mouvementés de mai 68, les compressions de trois œuvres clefs de la période couverte : Le révélateur, Le lit de la vierge et Les hautes solitudes, réalisés en 2009. Enfin, tourné le 24 mai 1999 en super 8, Zanzibar à Saint Sulpice est un document sur les retrouvailles du groupe Zanzibar où l'on croise outre Garrel, son père Philippe et ses enfants, les membres de ce collectif : Jackie Raynal, Patrick Deval, Serge Bard, Zouzou Jacques Baratier, et quelques autres amis comme Laura Duke Condominas ou Dominique Noguez. Le groupe Zanzibar s'était créé dans la foulée de mai 68, après une première rencontre au Festival du Jeune Cinéma d’Hyères en avril (on y croisera Bernadette Laffont et le chef opérateur Michel Fournier). Soutenus par la mécène Sylvina Boissonnas, le groupe réalisera une vingtaine de films entre 1968 et 1970 dont les premiers longs métrages de Garrel. Symboles d'une époque et de ses rêves mis en œuvre, leur réunion a un côté touchant sans être nostalgique. Le plus émouvant c'est de voir tout le monde filmer tout le monde, les images de Gérard Courant participant de ce tournage à plusieurs mains, et puis tous les enfants qui gambadent autour des adultes, la relève, la continuité, l'avenir.

Les DVD

A lire chez le bon Dr Orlof

Le site de l'éditeur

06/03/2013

Au bois de mon coeur

Périssable paradis - Un film de Gérard Courant (2002)

Le cinéma de Gérard Courant possède trois dimensions mais ne nécessite aucune lunette spéciale pour les percevoir. Je peux l’exprimer ainsi : la première est celle de l’archiviste. Gérard Courant filme tous les jours ou presque, comme on s’étire en se levant ou comme on se brosse les dents le soir. Pour se sentir bien, pour s’entretenir au physique comme au mental. Comme un dessinateur ne quitte pas son carnet de croquis, comme un cycliste qui a besoin de ses quelques dizaines de kilomètres réguliers. Pour mener à bien ce programme, Gérard Courant filme tout. Tout ce qui tombe sous son œil inlassablement curieux. Filmeur à l’œil-caméra, c’est son côté frère Lumière, eux qui tout à la joie de leur invention ont filmé les mille et une choses de leur quotidien, les gens, les lieux, sans préméditation ni se rendre compte immédiatement qu’ils fabriquaient de précieuses archives pour le futur. Gérard Courant, lui en est conscient, mais il s’efforce de retrouver l’innocence du geste. L’enfance de l’art. Son côté archiviste l’amène à trier, ordonner, classer, monter, montrer et préserver. Son œuvre est ainsi composée d’une base de centaines d’heures d’archives filmées, de sons aussi, et le temps travaille pour elle.

La seconde dimension est une dimension poétique. Il ne suffit pas de voir, il faut savoir regarder. S’il filme tout, Gérard Courant ne filme pas n’importe quoi. Il porte sur le monde un regard qui se veut à la fois discret et aimant. Qu’il filme les cinéastes, les actrices, les vélos, les rues de son enfance, les cinémas ou les arbres, il filme l’objet et le sentiment d’affection qu’il lui porte. Au travail contemplatif de sa mise en scène, qui vise à se faire oublier, se juxtapose un mouvement d’empathie pour le sujet. Une démarche poétique qui permet à la de révéler la beauté des choses et des gens. Il suffit de se souvenir de ce sourire lumineux de Sandrine Bonnaire dans ce Cinématon d’avant Pialat.

gérard courant

La troisième dimension, enfin, en une dimension transversale. Normal pour une troisième dimension. Les archives sont agencées, sous la conduite du regard poétique, en des constructions parfois complexes, parfois simples, qui brassent le temps, les espaces et des formats différents d’images (super 8, vidéo, 16 et 35 mm, intertitres) pour constituer soit une série (les Cinématons, les portraits de groupes, les cinémas où ont été projetés les films de Courant, etc.), soit un film individuel trouvant sa cohésion dans un thème (portraits de Joseph Morder ou de Luc Moullet, Chambery-Les Arcs, etc.). J’y vois une analogie avec le travail d’un géologue qui, à partir des différents types de roches affleurant la surface, dessine la coupe d’un terrain pour en raconter l’histoire.

Périssable paradis est un bel exemple de ce dernier type et éclairera, je l’espère, cette première partie toute théorique. C’est que ce principe des trois dimensions est capital pour saisir tout le plaisir que l’on peut avoir aux films de Gérard Courant. De 1985 à 2000, le cinéaste a habité face au bois de Vincennes au 103 avenue de Gravelle. Toutes ces années, il a donc filmé de différentes façons de multiples moments (les archives), depuis sa fenêtre, en promenade, à l’occasion d’une course cycliste, d’un événement météorologique remarquable (la neige, la neige sur Paris c’est toujours superbe), à l’occasion du tournage d’autres films ou d’événements particuliers. Périssable paradis est donc la chronique poétique d’un lieu, ce bois de Vincennes aimé, qui traverse les années, collection de petits instants, une aube, un crépuscule, fragments de Cinématons tournés là (transversalité), tournage de Chambery-Les Arcs, entretien pour la télévision, petites saynètes jouées pour l’occasion avec les amis, Moullet, Morder, Alain Riou, Arnaud Dazat à la Cipale. Précis selon son habitude, Courant donne les dates et les lieux, des informations et part à l’occasion sur les traces du passé avec le cinéaste Ali Akika (La mythique Université de Vincennes des années 70 aujourd’hui disparue).

Mais cette longue histoire d’amour entre Courant et le bois de Vincennes est traversée d’un drame qui donne une intensité particulière au film. En 1999 la France est traversée d’une formidable tempête qui dévaste, entre autre, le bois. Des arbres plusieurs fois centenaires sont arrachés, le paysage est ravagé, les routes coupées, le paradis qui semblait immémorial révèle sa fragilité. Il est blessé, il pourrait mourir. Déjà, comme il est dit à un moment du film, le Bois de Vincennes est un espace préservé de l’urbanisation implacable de Paris. Rien n’est acquit au bois, ni sa force, ni sa faiblesse. A la douceur du temps qui passe, Gérard Courant juxtapose la violence de la mort qui frappe. Mais il ne s’y résout pas et la dernière partie montre la lente convalescence du lieu, la paix progressivement retrouvée l’histoire qui se poursuit. Le film ne manque pas non plus d’humour, entre Moullet enterré jusqu’au cou dans les débris d’arbres, Morder traversant l’écran en monstre du bois sur les cris de King Kong (1933) en bande son, et cette profession de foi : à la question « êtes vous fou ? » posée par la télévision, Courant répond « sans doute, mais je le serais certainement plus si je devais attendre un ou deux ans pour faire un film ». Le cinéaste livre en passant sa conception de la pratique cinématographique dont Périssable paradisest un bel exemple.

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Toute ceci ne serait rien s’il ne s’ajoutait le rapport au spectateur. Si les films de Gérard Courant permettent la découverte, ils peuvent toucher plus profondément ceux qui partagent les centres d’intérêt du réalisateur. Ainsi l’amateur de cyclisme ne pourra que retrouver sa passion dans Chambéry-Les Arcs, celui du cinéma de Philippe Garrel se réjouir des documents incomparables réunis par Courant dans ses entretiens avec l’auteur de L’enfant secret. En ce qui me concerne, j’ai vécu mon enfance parisienne aux portes du bois de Vincennes, Porte Dorée. Le bois, le lac Daumesnil, le petit temple, la Cipale, le rocher dominant le zoo de Vincennes, le parc floral, étaient autant de destinations des promenades familiales. C’est dire si le moindre des plans de Périssable paradis est pour une madeleine proustienne me ramenant à l’époque où je cavalais dans les feuilles tombées des marronniers. Cette faculté de partager de la matière intime sans pathos, avec délicatesse, sans avoir l’air d’y toucher, est la grande force du cinéma de Gérard Courant. Il nous propose de partager ici un peu de l’air frais sous les frondaisons d’un endroit unique au monde, quelque chose d’un art de vivre et de filmer.

Pour information, Périssable paradis sera diffusé le 15 mars 2013 au Forum des Images, à Paris. Séance à 19h00 en compagnie du court métrage Dévotion (1982).

Sur le site de l'auteur

Photographies : capture DVD Gérard Courant

17/10/2012

Marilyn Monroe par Gérard Courant

En l'an de grâce 2012, il n'aura échappé à personne que l'on a célébré, façon d'écrire, le cinquantenaire de la disparition de Marilyn Monroe. Nous auront donc eu droit à tout, une déferlante de publications avec de jolis numéros spéciaux sur papier glacé, les dessins de Marilyn, les poèmes de Marilyn, les carnets secrets de Marilyn, les photographies de Marilyn, les notes de blanchisserie de Marilyn. Un peut tout, beaucoup n'importe quoi, avec quelque chose qui hérisse le poil du cinéphile bien né, la mise en retrait de l'essentiel : ses films. Ceci participant d'une tentative pénible de faire de Marilyn autre chose que Marilyn, c'est à dire une actrice de cinéma du Hollywood avant le déclin des années 60, capable accessoirement de chanter, danser et réfléchir sur son statut de star qu'elle eu du mal à gérer. Ce statut qui l'a transformée en objet médiatique lui causa bien des ennuis de son vivant. La malédiction est aujourd'hui loin d'être levée, alors que son image s'étale jusqu'à l’écœurement et que chacun, essayant d'être plus malin que l'autre, tente d'imposer une nouvelle image sur celles qui existent déjà. Comme Martine, Marilyn est tour à tour femme émancipée, modèle audacieux, humoriste, grande tragédienne contrariée, productrice, intellectuelle refoulée, gauchiste, peintre, poétesse, auto-analyste, nymphomane, victime d'un complot, fantôme dans un hôtel, mais moi qui ai bien connu le petit cousin du chauffeur de sa coiffeuse, je sais qu'en vérité, elle rêvait d'enfiler le costume de Godzilla.

gérard courant,marilyn monroe

Dans ces conditions, il est bon de revenir aux fondamentaux et au bel hommage que lui rend Gérard Courant dans sa compression Marilyn datant de 2011. Parmi les nombreux procédés qu'il utilise pour travailler les images, les siennes comme celles des autres, il y a ce principe de la compression, inspiré par les sculptures de César ou les accumulations d'Arman. Pour Marilyn, Courant a compressé les 15 films où Marilyn Monroe tient le ou l'un des rôles principaux. Ces 15 films, ce qui à la réflexion n'est pas tant, sont l'essence de la carrière de Marilyn, son parcours et son art, tout entier. Compressés à un rapport de 1/20, l'ensemble dure 68 minutes. Ceux qui se sont déjà amusés à utiliser les fonctions d'accélérations de leurs lecteurs (VHS, DVD ou autre) se sont déjà rendu compte de ce que l'exercice pouvait avoir de révélateur. Structure, dominantes chromatiques, richesse des plans, présence d'un acteur, un film compressé en quatre minutes est bien révélateur au sens chimique du mot. Sur la durée, la compression de Gérard Courant des titres majeurs de Marilyn Monroe dessine un étonnant parcours de quinze années de l'histoire de Hollywood, de Ladies of the chorus (Les reines du music-hall – 1948) de Phil Karlson à Something got to give (1962) inachevé par George Cukor. Filant sur les vents du temps, l'on voit les premières productions en noir et blanc de format classique, l'arrivée de la couleur sur le Niagara (1953) de Henry Hathaway puis l'élargissement de l'écran au CinémaScope, l'intermède anglais avec Laurence Olivier puis l'hommage en noir et blanc de Billy Wilder, l'image plus moderne du film de John Huston, avant de revenir aux comédies sophistiquées du début des années 60. Se superpose à l'aventure de Marilyn une histoire du Hollywood de l'époque. Marilyn est Hollywood, star et actrice, spectacle et art, there is no business like show business. Et puis, comme on pouvait s'y attendre, son image règne. Par éclairs, les gros plans percent le flot accéléré des images et imposent son extraordinaire présence, son visage en premier lieu, adoré de la caméra, et puis toutes ces images qui ont construit le mythe : Le rouge à lèvre de Niagara, la guêpière de River of no return (La rivière sans retour – 1954), la robe blanche de Seven year itch (Sept ans de réflexion – 1955), le pull de Let's make love (Le milliardaire – 1960). La compression réalisée par Gérard Courant fait sentir à la fois le dérisoire du mythe et sa force irrésistible, manière originale de revenir une fois de plus sur ces films si souvent vus, jamais oubliés.

En forme de coda à cette compression, on se fera plaisir avec un petit court de trois minutes, In Memoriam Marilyn, que Gérard Courant réalise cette année sur un principe opposé. Court, utilisant le ralenti et des scènes du tournage de l'ultime film inachevé de Cukor. Sur les images d'une Marilyn nue et libre, se pose sa voix interprétant Kiss, chanson du film Niagara. Courant reprend ici plusieurs de ses procédés favoris qui nous ramènent à ses collections de clips pour Elisa Point et Léonard Lasky, variations sur des scènes de films qu'il aime, ainsi qu'à ses images ralenties de Gene Tierney dans She's a very nice lady, film de 1982 qui utilisait déjà la scène de Niagara. La boucle est une forme qu'affectionne le cinéaste. Impossible pour moi de ne pas rapprocher les visages des deux stars sortant de l'eau en un ralenti émouvant faisait éclater leur beauté comme leur humanité. En revenant à l'actrice au travail, dans la joie, Gérard Courant revient à l’essentiel de Marilyn. Qu'il en soit ici remercié. Et l'on pourra toujours rêver au Cinématon qu'il aurait pu faire avec elle.

Pour faire écho à l'article d’Édouard de Nightswimming, je dirais que le même principe appliqué à une star plus française, Brigitte Bardot, m'a moins convaincu. BB x 20, réalisé en 2010 compresse 20 films de Manina, fille sans voile (1952) à Boulevard du Rhum (1971). Outre qu'il manque une partie des films (dommage pour Les pétroleuses (1971)), il se trouve que je ne suis pas un grand amateur de La Bardot et qu'il ne me semble pas que son parcours puisse avoir la force symbolique de celui de Marilyn. Je connais aussi peu des films compressé, il n'y a donc pas l'effet de familiarité et certains passage me sont complètement obscurs. Surnagent le Scope du Mépris (1963) de JLG, inévitable, et quelques souvenirs de chez Vadim ou Dmytryck (aie). Restent aussi certaines scènes échevelées de Viva Maria (1965) de Louis Malle qui prennent à l'accélération un aspect expérimental assez bienvenu.

Photographie : Fascination Dreams

08/04/2012

Luc Moullet lit

 

Devant la caméra de Gérard Courant, Luc Moullet lit Politique des acteurs Garry Cooper John Wayne Cary Grant James Stewart (éditions Cahiers du cinéma), l'un de mes livres de cinéma fétiches.

61e numéro de la série "Lire", réalisation le 26 mars 2007 à Paris (France).

07/04/2012

Rosette lit

Devant la caméra de Gérard Courant, Rosette lit Le Grand méchant père (éditions Grasset).

65e numéro de la série "Lire", réalisation le 23 janvier 2009 à Paris (France).